Végétarien ou omnivore ?

Cette question revient souvent : l’ayurvéda recommande-t-il le végétarisme ?

En yoga, la réponse est claire : il est essentiel d’être végétarien. En effet, le yoga vise le progrès spirituel, tandis que l’ayurvéda se préoccupe de la santé globale : corps, mental et esprit. La réponse ayurvédique à cette question du végétarisme est complexe et subtile. Cet article vise à remonter aux sources de l’ayurvéda pour étudier le lien entre végétarisme et santé. Cependant, je tiens à mentionner que mon choix personnel de yogini s’oriente vers le végétarisme, qui est une dimension essentielle de la pratique, pour les raisons mentionnées à la fin de l’article.

L’opinion de Charaka

Le Charaka Samhita, oeuvre classique de référence de l’Ayurvéda datant du Ier siècle de notre ère, considère le végétarisme comme idéal pour certaines personnes, mais pas pour d’autres. Charaka classifie les différentes viandes selon leur effet sur les doshas, indique pour qui, en quelle saison, et de quelle manière les produits animaux peuvent être consommés. Il tient compte d’abord de la constitution de la personne (prakriti), et de l’état actuel de ses doshas (vikiriti).

Selon Charaka, la viande rouge comme le boeuf est considérée comme lourde, réchauffante, et anabolique (construit les tissus). Il la recommande donc seulement à la constitution Vata, et aux autres constitutions si elles sont affaiblies et que leur tissus sont émaciés, dans le cas de perte musculaire suite à une immobilisation, par exemple… et encore, en petites doses, de manière ponctuelle, souvent sous forme de bouillon. La consommation régulière de viande rouge par les personnes Pitta et Kapha risque d’entraîner des déséquilibres, en particulier la formation d’ama (toxines), car ces aliments sont très difficiles à digérer et à éliminer, surtout en l’absence d’activité physique adéquate. En substance, la viande forme des muscles, à condition de les faire travailler plusieurs heures par jour, sinon elle forme des déchets. Si l’ama se dépose dans meda (tissus adipeux) il entraîne un surpoids, s’il se dépose dans asthi (articulations, os), il est à l’origine du processus de l’arthrose, etc…

De la même manière, Charaka recommande le poisson uniquement à la constitution Vata, et notamment pour améliorer la vision et l’intellect, qui sont des qualités Pitta. En effet, les aliments en provenance de la mer, qui ont naturellement un goût salé, ont tendance à augmenter Pitta de par leurs qualités réchauffantes et lubrifiantes, mais sont bénéfiques aux personnes sèches et émaciées. Pour profiter des bienfaits des aliments marins sans les désavantages multiples des produits animaux, cités ci-dessous, la solution se trouve du côté des algues ! Ce sont des trésors nutritionnels, fraîches ou sèches, et elles aident à rendre les légumineuses plus digestes (ajouter un morceau d’algue Kombu à l’eau de cuisson des pois chiches, par exemple).

Charaka considère la viande blanche des volailles comme moins lourde que la viande rouge, et donc plus facile à digérer. Elle peut donc convenir à davantage de personnes, mais toujours avec modération. Une seule viande se distingue vraiment des autres selon Charaka, et c’est celle de la biche ou du chevreuil. En effet, celle-ci est considérée comme beaucoup plus légère, moins chaude, avec même un goût plus astringent que les autres produits animaux. En général, Charaka préfère la consommation d’animaux sauvages à celle d’animaux domestiques… Il se pourrait bien que les chasseurs se ralient à l’ayurvéda, qui l’eût cru ??

Charaka insiste beaucoup sur cet aspect : notre alimentation doit être en accord avec la Nature. Les aliments très denses, comme les produits animaux, et cela inclut les produits laitiers et les oeufs, devront être consommés le midi, quand le soleil est au zénith, soit vers 13h en hiver et 14h en été. C’est à ce moment là que notre capacité digestive est la plus forte. Le matin et le soir, mieux vaut opter pour des aliments plus légers, c’est-à-dire plus faciles à digérer.

En hiver, pour résister au froid, notre feu digestif se concentre. La viande, on l’a vu, est très dense, mais aussi réchauffante : elle sera donc moins dommageable en début de saison froide, dans la saison du Vata, c’est-à-dire de septembre à janvier. Au printemps, de début février à début juin, nous sommes dans la saison du Kapha. Il est donc essentiel pour tous d’éviter les produits animaux, pour détoxifier le corps et faire un grand nettoyage de printemps. En été, la consommation de viande, comme celle des stimulants comme l’alcool, excite le Pitta et provoque inflammations physiques et émotions chaudes comme la colère.

L’ayurvéda moderne

Charaka a écrit son oeuvre voilà 2000 ans, à une époque où le manque était plus commun que l’abondance. Rares étaient les personnes qui risquaient de consommer trop de viande, encore plus rares celles qui manquaient d’activité, à une époque où le travail physique intense et continu était la norme. Preuve que Charaka est un peu daté, sur la question du végétarisme : il s’étend en détail sur la consommation de lézards, de serpents, de crocodiles, de canidés et autres animaux carnassiers que nul n’aurait plus l’idée de consommer ! Charaka ne précise pas la fréquence de consommation, cependant l’ayurvéda moderne recommande à tout le monde de limiter considérablement les portions de produits animaux, d’autant plus que l’agriculture industrielle (impensable à l’époque de Charaka) produit une viande chargée de résidus d’hormones, de pesticides et de vibrations énergétiques néfastes. Lorsque l’on consomme un animal qui a souffert toute sa vie, ou même seulement qui a subi la terreur de l’abattage, on absorbe cette énergie de peur et de souffrance.

L’ama, source de la plupart des maladies, surtout dégénératives

Pour l’ayurvéda, les conditions de la santé globale incluent des tissus sains (dhatus), les trois doshas bien équilibrés (vata, pitta, kapha), une capacité digestive forte (agni, qui correspond à la production d’enzymes), et l’absence de toxines (ama). Aujourd’hui, les médecins ayurvédiques sont unanimes et je le confirme dans ma pratique : 80% des personnes ont des tissus chargés d’ama (toxines digestives), avec un taux de saturation plus ou moins élevé. Cela signifie que les aliments consommés ne sont pas digérés de manière optimale et ne sont pas non plus éliminés. Le résidu de cette digestion imparfaite entre en putréfaction, formant cette substance appelée “ama”. L’ama tapisse le tube digestif, et au fil du temps il migre vers les tissus profonds, se déposant dans le tissu où la personne à une faiblesse.

Pourquoi la capacité digestive n’est-elle pas toujours au rendez-vous, entraînant une digestion imparfaite ? Les raisons sont multiples :

  • Repas trop copieux
  • Repas trop fréquents
  • Aliments trop lourds et difficiles à digérer, surtout les protéines animales
  • Alimentation sans faim, surtout le matin et le soir après 20h
  • Aliments inadaptés à la constitution
  • Stress pendant les repas et pendant la digestion
  • Inhibiteurs de digestion, comme le sucre et les stimulants…
  • Agni affaibli par une activité physique réduite

Dans la vision occidentale, notre métabolisme s’apparente à une chaudière qui transforme les aliments en calories. Pourtant, la réalité est beaucoup plus complexe : pour que les aliments soient transformés en nutriments utilisables, l’agni (capacité digestive) doit être bien équilibré. Si vous mangez du jambon le matin, il y a 80% de chances qu’il se transforme en ama directement. Donc, à moins d’aller courir un marathon, abstenez-vous (et encore, je ne suis pas sûre que ce soit le meilleur aliment avant un marathon).

Diminuer les protéines animales est une priorité dans la plupart des “ordonnances” de médecins ayurvédiques. Pourquoi ? Les études sont formelles : l’arthrose, par exemple, est considérablement plus rare chez les végétariens. Le niveau d’ama en général est proportionnel à la quantité de protéines consommées : autrefois on recommandait 1 g de protéines par jour par kg de poids (par exemple 60 g pour une personne de 60 kg), et maintenant ces recommandations officielles ont été divisées par trois. Le risque que vous manquiez de protéines est quasiment nul en France, en revanche l’excès de protéines est une des causes de la plupart des maladies graves (la présence d’ama dans les tissus). Et souvent, même en cas de carence, le problème n’est pas le manque de protéines consommées, mais bien leur mauvaise assimilation, là aussi parce que l’agni est faible (munda).

J’aimerais ici partager ma propre expérience : j’ai eu l’occasion, lors de ma formation avec le Dr Joshi, éminent médecin ayurvédique, d’assister à une de ses consultation. La patiente, végétarienne de longue date, avait été affaiblie après une grossesse et une année d’allaitement. Elle avait depuis plusieurs années de la difficulté à prendre du poids, et en particulier de la masse musculaire. En effet, selon l’ayurvéda, la grossesse est l’évènement de la vie qui aggrave le plus Vata. Dr Joshi lui a alors prescrit de manger du poulet une fois par semaine pendant un an pour renforcer ses tissus. L’usage de la viande en ayurvéda est donc thérapeutique, dans des cas spécifiques uniquement.

C’est pourquoi, même si l’ayurvéda n’est pas strictement végétarien, l’alimentation de cure ayurvédique l’est toujours, en fait elle se rapproche même du régime végan (à part le miel et le ghee, tous les aliments consommés en cure sont végétaux). La seule alimentation qui permette de purifier les tissus et les cellules, et qui repose le système digestif, est un régime basé sur les légumes, les fruits, les céréales, les légumineuses et les graines.

Ayant fait le tour de la question du point de vue de la santé physique, considérons les dimensions mentales et spirituelles, qui ne sauraient être dissociées dans une approche holistique.

Le yoga recommande le végétarisme pour plusieurs raisons :

  • Morale : la production de viande requiert beaucoup plus de ressources (en terre, en eau, en électricité…) que celle des protéines végétales; nous pourrions nourrir toute l’humanité convenablement et réduire les conflits autour des ressources si nous devenions tous végétariens;
  • Spirituelle : le respect d’ahimsa, la non-violence, exige de ne pas prendre la vie d’un animal et de ne pas lui causer de souffrance. Les plantes sont aussi sensibles, mais leur niveau de conscience serait moins élevé que celui des animaux;
  • Pratique : la consommation de viande alourdit le mental, excite les émotions, sa digestion “plombe” le corps, rendant la méditation beaucoup plus difficile, sinon impossible. D’autres aliments comme l’ail partagent cette propriété d’augmenter considérablement l’élément terre, et de diminuer l’élément espace, nous rendant moins sensible aux dimensions subtiles et énergétiques de notre être.

En conclusion, l’ayurvéda recommande plutôt le végétarisme, pour intégrer les dimensions physique, mentale et spirituel de l’être humain. La viande peut être exceptionnellement recommandée, et en tous cas de manière temporaire. La très grande majorité des personnes consomment trop de produits animaux, même si l’on ne considère que la santé du corps. En revanche, il est important de changer son alimentation progressivement, pour ne pas choquer le métabolisme.

Si vous avez des doutes sur ce qui est bon pour vous, à ce moment de votre vie, prenez conseil auprès d’un spécialiste en ayurvéda. Pour ma part, je reçois en consultation dans l’Allier, à Moulins en semaine et à Cérilly le weekend et les vacances scolaires. Si vous ne pouvez pas vous déplacer, la vidéoconférence est une option, qui n’est pas idéale notamment pour prendre le pouls (!) mais qui peut tout de même vous aider.

« Bougez le corps, faites circuler le souffle, éliminez les déchets », proverbe ayurvédique